14 Décembre 2011. Il pleut. Il pleut tellement fort, à n’en plus entendre les battements les faibles de nos cœurs meurtris. Des gouttes tristes s’infiltrent dans la maison, cognant les seaux que maman a l’habitude de placer là. Ce soir, c’est de pâtes. C’est un peu notre quotidien en même temps. C’est Noël dans dix jours, mais c’est différent, c’est plus comme le peu qu’on avait chaque année. Mes parents, enfin… Ma mère ne se donne plus cœur et âme, je crois qu’elle en a marre, je crois qu’elle est trop fatiguée. Mon père ? Ah non, lui il a pas vraiment changé. Il est toujours dans son fauteuil, il arrive toujours pas à s’exprimer sans hoqueter, il a toujours du mal à se lever. C’est à peine si on peut l’approcher (les odeurs d’alcool, vous savez). « C’est prêt. » Déclare doucement maman. Ma sœur et moi courrons presque vers elle, avec nos vieilles assiettes en main. Faut dire qu’avec ce qu’on a eu ce midi, il y a de quoi avoir le ventre creux. Elle nous sert ce qu’il faut avec un vrai sourire d’affection dessiné sur ses fines lèvres, nous noie rapidement dans ses beaux yeux bleus remplis de l’amour d’une maman et on ne peut que l’admirer. « Allez-y, et mangez tout ! Je vous aime les enfants. » Je cours rapidement vers la table à manger, trop grand ou trop honteux pour lui avouer à quel point je l’aime aussi.
Si seulement je savais.

17 Décembre 2011. Les oiseaux chantent. L’univers est étrangement heureux pour un jour aussi triste. Peut-être que c’est parce qu’elle est enfin libérée.
Oui.
Maman est partie. Et pour toujours.
Ma sœur jumelle, Léo, et moi-même avons les yeux gonflés, c’est dingue, on a pris dix ans de plus en une seule nuit. Papa ? Je me demande s’il réalise. Il avait déjà du mal à se lever de son fauteuil, alors imaginez son incapacité à recevoir les condoléances. Il est comme un étranger, un étranger à la mort, un étranger à la vie, un étranger à tout. C’est comme un meuble qu’on ne peut pas juste jeter à la poubelle.

17 Février 2012. Eh merde. Qu’est-ce qu’est devenue la vie ? C’est vrai que quand je m’assois là et que j’y pense, ça fait peur, ça donne envie de vomir, ça sert le cœur. Je pense que c’était maman qui donnait un peu de couleur à ce tas caca. Elle nous faisait croire qu’il y avait encore un peu d’espoir, elle forçait un peu, j’veux dire, même quand il y en avait plus du tout, même jusqu’à son dernier souffle, elle nous faisait y croire. Ce soir le ciel est noir, la lune pleine. Des pas lents frottent le goudron et je suis tellement habitué à cette cadence que je devine son appartenance. « Hé, qu’est-ce que tu fous là comme ça ? On aurait dit un chien battu. » Glenn. Deux autres de mes potes rigolent doucement à sa remarque pendant que je me lève. « Ouais. Ouais c’est rien, j’réfléchissais un peu. » - « Haha, j’ai ce qu’il te faut, aspire moi ça. Tu verras la vie en rose mon frère. » Un petit sourire apparaît dans le coin de mes lèvres. Je ne souris plus à gorge déployée depuis que maman est partie. Comme si je n’avais plus le droit, plus l’occasion, plus de raisons. Je porte à mon nez la dose de poudre blanche et l'aspire puis nous continuons vers la maison d’un pote qui a perdu ses parents, et qui vit donc seul. Il est largement plus âgé que moi, mais on s’en fout. Ce monde ne se préoccupe pas de ça. Je prends une gorgée rapide de ma bouteille de whisky, j’en cale toujours une dans la poche de mon pantalon. « C’est le grand H 5 étoiles ce soir ! Deux chambres à dispositions et plein de poulettes qui n’attendent que ça. » Glenn est un peu celui parle trop. Il nous fait croire qu’on a de quoi se réjouir et on l’écoute. « Logann ? T’as des feuilles ? » J’hoche la tête et sort tout l’attirail du bon drogué, de quoi ruiner une vie.

14 Août 2015. « Maître Reynolds, avec tout le respect que je vous dois, vous ne pouvez pas prendre les jumeaux Silaïev avec vous. C’est une source de problèmes, ces enfants appartiennent à la rue ! » - «  C’est mon choix. Je dispose des droits nécessaires pour le faire et je ne prends pas cette décision sur un coup de tête. Je sais ce que je fais et vous ne pourrez ne me faire changer d’avis. »

rugissant l’agonie et les peines des cœurs condamnés, les trains passent à une vitesse censurée, fuient le passé derrière eux et frottent les rails tel un enfant qui frappe les murs de sa chambre pour se libérer de l’emprise de la dépendance. en vain.
le train passe et le train repasse.
il faudrait que quelqu’un s’aventure, déplace les rails, et change la destination finale. déforme le destin. théotime, guitariste perdu sur qui elle ouvre ses grands yeux gris. théotime sa bouée de secours, à qui elle s'agrippe sans se soucier de le faire tomber et l’aimant d’un amour fraternel bancal qu’on n’ose remettre en jeu. parce que ça fait mal. ça fait trop mal. elle marche. le métro, les rues et la beauté irréelle de ses chevilles décharnées par le fil des temps. elle n’avait pas été aussi crasseuse, ondine, on ne lui aurait point donné la permission. elle n’aurait pas voulu. ondine c'est une fille, l’exemple même de la fille. les beaux chignons et les belles robes hypocrites qui lui crachent dessus et qui la piétinent en ornant les horreurs auparavant splendides et charnue de son corps. ondine, naïve, rend les gens fous. elle crie les mensonges heureux avec ses yeux fixant la pénombre de la nuit. qu’est-ce qu’on peut faire de bien dans un métro ? plus de beautés que vous ne l’imaginez. il faut comprendre. il faut y vivre. et se rassurer du passage inquiet et malade des trains. ondine danse. elle est folle. c’est contagieux. elle vous fait crier vos douleurs, et puis, elle vous guérit, comme elle peut. des fois elle y arrive, des fois non. c’est la vie. c'est le véritable amour qui ne caresse pas. hideux, souvent crasseux, c’est sa manière. ça vous énerve, c’est vrai.
ondine elle vivait d'or et maintenant elle vit de rien. elle tend toujours la main. ils crachent dessus et puis elle sourit. elle à l'air heureuse parce qu'elle sait faire semblant. elle a droit, après tout. souvent nostalgique face à son passé coloré de pâleur royales, elle se console sur théo, sur félix, sur les fleurs, les chats, les chiens. elle n’est pas exigeante, la pauvre. et rit aux nez de ceux qui ne comprennent pas.